Zoomer est impossible mais il faut le faire quand même

Zoomer appartient au vocabulaire du cinéma. Chacun connaît la technique qui permet, par une manipulation de l'objectif, de faire croire qu'on s'éloigne ou se rapproche d'un objet, d'un personnage, d'un paysage. Zoom avant et zoom arrière.

Nous ne nous occuperons que du zoom avant que nous appelerons focalisation.

Le regard du spectateur de théâtre est sans doute moins immédiatement captif que celui du spectateur de cinéma. Néanmoins, ce spectateur, dans une salle de théâtre, ne peut ni ne doit bouger de son fauteuil (avant la fin du spectacle sauf s'il veut manifester une désapprobation à l'endroit d'une mise en scène !).

 

Supposons que  dans une scène, une situation donnée repose (en partie, en grande partie) sur un détail : une lettre; un louis (donné par Dom Juan au Pauvre); un couteau (elle résistait à Antony), un collier de sa mère, une bague, une mèche de cheveux (ceux d'Oreste),un livre (comme celui qu'Arnolphe fait lire à Agnès)...

 

Si on additionne les "obstacles" suivants : regard "libre" du spectateur; éloignement dans la salle; séparation scène/salle; dimensions du plateau, il peut arriver que le détail échappe, en totalité ou en partie, au regard du spectateur.

 

Il faut donc, dans ces moments, "focaliser" ce regard; l'orienter vers le détail.

 

Si on dispose de moyens techniques suffisants, on peut "éclairer" le détail; on peut encore, si on est amateur d'effets, dramatiser l'apparition du détail par une musique ou un bruitage quelconque...

 

Si on n'a rien de tout cela, ce qui est le cas souvent d'un atelier ou d'un club, la "focalisation" va reposer sur le travail du comédien et celui du metteur en scène.

 

 

Rappel

Dans le théâtre chinois qui a tant fasciné Bertolt Brecht, il arrive régulièrement que le jeu des comédiens, au cours d'une scène, se fige en tableau.

Une crescendo puis un tutti des musiciens qui rythment et accompagnent le spectacle annoncent le tableau et d'un coup le figent.

Tout s'arrête : pour les comédiens et pour les spectateurs... Tout c'est à dire la narration et le drame.

Il s'agit d'un "coup de théâtre" non au sens "classique" du mot mais un coup qui exhibe le théâtre en tant que tel, en tant qu'art.

Le théâtre "occidental", s'il lui arrive de "figer" une situation en tableau, a toujours besoin d'un alibi (le plus souvent psychologique : on est frappé de stupeur !) pour faire passer le scandale d'un théâtre qui s'affiche comme tel.

Puisque alibi, il doit y avoir, travaillons à motiver "l'arrêt sur image".

Dans une des improvisations durant la journée consacrée au conte et à Peau d'Âne, un chevalier-prince-charmant finit par découvrir la forme d'un corps comme semblent le laisser deviner des manteaux étendus au sol (pour les besoins de l'improvisation).

Le chevalier-prince-charmant descend de monture, avance vers la forme au sol et, d'un coup, soulève le pan d'un manteau et reconnaît, sans autre forme de procès "sa" princesse.

Tout est allé vite, trop vite.

Un changement de rythme s'imposait pour l'approche de la forme au sol : que cache-t-elle ? Le prince ignore ce qu'il va trouver ? Danger ou pas ?

Et surtout : une fois le pan soulevé, le prince reçoit la beauté sidérante de "sa" princesse. Il est comme figé, saisi littéralement par ce visage. Arrêt sur image. Et cet arrêt, précisément, est la valeur que le personnage du prince-charmant-chevalier donne à la fois au visage et à la réaction en lui, à l'effet en lui de tant de beauté.